Les salaires des employés d’épicerie sont grugés par l’inflation dans un contexte de profits records

Une nouvelle étude réalisée par l’Institut Broadbent arrive à la conclusion que les gains salariaux dans le secteur de l’épicerie ont été annulés par l’inflation – dans un contexte de profits records réalisés par les épiciers.

OTTAWA – Les gains salariaux des employés d’épicerie ont été complètement annulés par l’inflation, selon un nouveau rapport publié par l’Institut Broadbent.

Intitulée Profitabilité dans le secteur de l’épicerie : Inflation, salaires et financiarisation, cette étude, réalisée par l’analyste Alex Purdye, constate que les salaires réels dans le secteur de l’épicerie ont augmenté de façon importante de 2018 à 2020. Mais qu’au cours des années qui ont suivi, les augmentations du coût de la vie ont annulé ces gains, ramenant les salaires au niveau de 2018.

Or ce recul des salaires réels a eu lieu dans un contexte de profits records par les détaillants en alimentation. À la différence des précédents épisodes d’inflation, où l’on imputait les augmentations du prix des biens de consommation à l’augmentation des coûts de la main-d’œuvre – c’est-à-dire aux salaires – les salaires des employés d’épicerie ont en fait diminué après que le  « salaire des héros », qu’étaient ces travailleurs essentiels en période de pandémie, eut été récupéré. 

Au contraire, comme le révèle ce rapport, les augmentations de prix sont attribuables à un phénomène appelé « inflation imputable au vendeur », un phénomène où les chocs de coûts sont répercutés sur les consommateurs afin de préserver la marge bénéficiaire des entreprises.

« Dans ce contexte  inflationnaire, les demandes salariales des travailleurs, bien que justes et justifiées, ont été le bouc émissaire de l’augmentation des prix », de préciser Clement Nocos, directeur de la politique et de l’engagement à l’Institut Broadbent. « Notre recherche montre que c’est le contraire qui se produit en réalité. Du moins dans le secteur de l’épicerie, les travailleurs ont vu leurs gains salariaux s’évaporer sous l’effet de prix excessifs alors que leurs patrons ont enregistré des profits records.  Il est temps de cesser de jeter le blâme sur les travailleurs et de commencer plutôt à appuyer leurs luttes tout en s’attaquant aux profits excessifs et à l’insécurité alimentaire. »

Selon le modèle de l’inflation imputable au vendeur, les prix connaissent une flambée à la suite d’un choc de coûts initial – par exemple, une forte hausse du coût de l’énergie, ou des intrants industriels. Les entreprises répercutent ensuite ces hausses sur les consommateurs, diminuant ainsi le pouvoir d’achat de ces derniers.  Les syndicats réagissent en faisant preuve de plus de fermeté dans les négociations – et en revanche pour préserver leur marge bénéficiaire récemment gonflée, les entreprises augmentent encore plus les prix, dans un mouvement inverse à la traditionnelle « spirale des salaires et des prix ». 

Le rapport conclut que ce cadre s’applique au Canada : à la suite de pics initiaux des coûts de l’énergie et de la production alimentaire, les travailleurs ont vu leurs salaires réels diminuer, alors même que les entreprises voyaient leurs profits grimper en flèche. Le rapport constate également que la pression exercée par les investisseurs est un moteur clé de l’inflation imputable au vendeur : l’investissement à faible friction signifie que les entreprises font face à la concurrence pour dégager des marges bénéficiaires équivalentes à celles des entreprises des autres secteurs, ou voient autrement leurs investisseurs se retirer. Dans une course aux profits plutôt qu’une course pour les prix, ils normalisent ces marges bénéficiaires en réduisant les coûts, y compris les salaires réels des travailleurs – tout en investissant dans la productivité, c’est-à-dire en améliorant la technologie, ce qui entraîne des réductions des heures de travail ou même des mises à pied.

Le rapport met de l’avant trois recommandations clés pour s’attaquer à l’inflation imputable au vendeur : 

  • L’instauration d’une taxe sur les bénéfices exceptionnels, qui limiterait la capacité du secteur de normaliser des pics de prix temporaires et inciterait plutôt les détaillants en alimentation à réduire les prix ou à augmenter les salaires
  • La mise en place de mécanismes de contrôle des prix comme mesure d’urgence temporaire de stabilisation lors d’une crise d’approvisionnement
  • Le renforcement des syndicats afin de réduire la capacité des entreprises de maintenir leurs profits en réduisant les salaires

« En 2023, les partis politiques de la gauche comme de la droite se disputent les votes des travailleurs, et cherchent à être reconnu comme le parti qui obtiendra les meilleures conditions pour eux » de faire observer Clement Nocos. « Il est temps pour ces partis de mettre en œuvre ces recommandations raisonnables et sensées et de contribuer au rétablissement d’un coût de la vie plus viable pour les travailleurs et travailleuses d’un bout à l’autre du Canada. »