1. Le fractionnement du revenu familial
Le gouvernement fédéral entend dépenser environ 2 G$ par année pour le fractionnement du revenu familial, fractionnement qui profitera surtout aux familles traditionnelles à revenu élevé dont un conjoint reste à la maison, et ce, jusqu'à concurrence de 2 000 $ par année. Ce fractionnement ne profitera aucunement aux familles monoparentales, ni aux familles à deux parents qui travaillent et dont le revenu se situe dans le même créneau d'impôt, y compris les créneaux d'impôt moyen et inférieur. Les familles ayant des enfants de moins de 18 ans représentent la moitié de toutes les familles que visent ce plan, selon une étude de l'Institut Broadbent, Le grand écart. Dans l'intervalle, les familles ayant un conjoint dans le créneau d'impôt supérieur et un conjoint demeurant à la maison avec un taux d'impôt de zéro feront de grosses économies. Cette grosse coupure d'impôt pré-électorale augmentera directement l'inégalité des revenus.
2. Doubler la contribution aux comptes d'épargne libres d'impôt (CÉLI) – Prélever l'impôt sur les salaires et non sur les revenus d'investissement
Les conservateurs de Harper semblent prêts à doubler le plafond annuel de contribution à 11 000 $ en dépit d'avertissements voulant que cette mesure profite de façon disproportionnée aux familles riches, réduira la progressivité des systèmes d'imposition fédéral et provinciaux et coûtera des milliards de dollars supplémentaires au gouvernement. Le revenu d'investissement gagné par ces comptes d'épargne libres d'impôt n'est pas imposable.
S'il est raisonnable d'exempter d'impôt la « petite épargne », l'expansion prévue des CÉLI aboutira à la quasi-élimination de l'impôt sur le revenu d'investissement. Les salaires seront toujours imposés, mais non le revenu des gains en capital et des dividendes, qui est surtout touché par les riches. Les personnes touchant actuellement plus de 250 000 $ reçoivent plus de la moitié (53 %) de tous les revenus de gains en capital imposables et 38 % du revenu imposable provenant de dividendes.
L'économiste Rhys Kesselman, qui a rédigé en collaboration l'étude de 2001 posant les fondements des CÉLI (et qui s'objecte au doublement des plafonds), a montré que, après 42 ans de contributions maximales, les soldes accumulés des CÉLI d'un individu, en se basant sur un rendement de 5 %, atteindraient 780 000 $, et que les revenus d'impôt fédéral chuteraient de plus de 15 G$ par année. Et ce, avant le doublement prévu du plafond des contributions. Kesselman a découvert que, combinés, les plafonds actuels des contributions aux RÉER et aux CÉLI pourvoient largement aux besoins d'épargne à vie de tous les travailleurs gagnant jusqu'à 200 000 $ par année au moins.
De plus, en 2012, moins de 16 % des personnes âgées de moins de 60 ans ayant un CÉLI avaient contribué le maximum – ce qui prouve hors de tout doute que le plafond actuel des CÉLI suffit amplement à une écrasante majorité de Canadiens. L'utilisation des dispositions actuelles des CÉLI favorise déjà les personnes gagnant un revenu élevé; ce biais pourrait être accentué et accéléré par un doublement des plafonds de contribution, selon Double Calamité, un rapport de l'Institut Broadbent rédigé par Kesselman.
3. Aucune augmentation au Supplément de la Prestation nationale pour enfants (SPNE) afin de réduire la pauvreté chez les enfants
La SPNE est le principal programme du Canada pour combattre la pauvreté chez les enfants. Le supplément maximal du SPNE par enfant pour une famille ayant un enfant est actuellement de 2 241 $ par an (186,75 $ par mois); pour une famille de deux enfants, il est de 1 982 $ par an (165,16 $ par mois) par enfant. Il est peu à peu supprimé si le revenu net de la famille dépasse 25 584 $. Ces avantages laissent néanmoins un enfant canadien sur cinq dans la pauvreté. Le SPNE est indexé à l'inflation, mais sous le gouvernement Harper, il n'a pas été augmenté en dépit d'exhortations répétées d'experts en matière de pauvreté chez les enfants et de militants.
4. De grandes réductions de l'impôt des sociétés
Le gouvernement Harper a fièrement mis les réductions d'impôt des sociétés au cœur même de son soi-disant programme de croissance et d'emploi. Depuis qu'il a pris le pouvoir en 2006, le gouvernement Harper a réduit le taux de l'impôt fédéral sur les sociétés de 22,1 % à 15 %. Selon le directeur parlementaire du budget, chaque réduction de 1 % fait perdre 1,85 G$ en revenu annuel de sorte que le coût total en est de 12 G$ environ. Les sociétés étant la propriété de leurs actionnaires, une augmentation des profits après impôt résultant d'une réduction de l'impôt sur les sociétés augmentera la valeur des actions (gains en capital) et les dividendes payés aux actionnaires. La moitié de tous les gains imposables et 38 % des dividendes vont à des contribuables dont le revenu dépasse 250 000 $.
Certes, les réductions de l'impôt sur les sociétés augmentent leurs profits après impôt, mais elles n'ont eu aucun effet sur leurs investissements actuels, ni en machinerie et équipement, ni en formation de capital humain, ni en propriété intellectuelle, des composantes essentielles de notre prospérité future. En fait, les sociétés canadiennes sont actuellement assises sur plus de 600 G$ d'argent improductif figurant dans leurs bilans.
En utilisant des techniques économétriques, une analyse des investissements et des mouvements d'encaisse des sociétés depuis 1961 « n'a trouvé aucune preuve dans les données historiques qu'un taux d'imposition plus bas ait directement stimulé de plus gros investissements. » De plus, les données les plus récentes montrent que les dépenses des sociétés dans ces domaines vitaux sont restées stationnaires depuis les trois dernières années et qu'elles restent au niveau d'avant la récession.
5. Plus de coupures dans l'assurance-emploi
Sous le gouvernement Harper, la proportion des chômeurs admissibles à toucher des prestations d'AE a chuté bien en dessous de 40 %. Cela est dû surtout à ce que les travailleurs à temps partiel, temporaires ou nouveaux n'obtiennent pas assez d'heures de travail pour être admissibles à l'AE lorsqu'ils sont mis à pied. Ces exigences d'admissibilité remontent pour la plupart aux années 1990, mais les conservateurs ont introduit en 2013 de nouvelles règles qui forcent les soi-disant « prestataires fréquents » à accepter des emplois à 70 % de leur salaire précédent après six semaines de recherche d'emploi et à voyager de grandes distances pour travailler. Ces changements ont aussi fait baisser les salaires des emplois moins bien rémunérés.
6. Travailleurs étrangers temporaires et faibles salaires
Le gouvernement Harper a connu une augmentation énorme du nombre des travailleurs étrangers temporaires peu spécialisés. Ces travailleurs ayant un droit de séjour temporaire au Canada doivent travailler pour un seul employeur. Plusieurs économistes font valoir que ce programme a contribué à réduire le salaire de l'ensemble des travailleurs canadiens et des immigrants récents qui auraient pu faire le travail à un salaire décent.
Bien que le gouvernement ait depuis resserré les règles, le programme de travailleurs étrangers temporaires se poursuit. Un tel programme à sens unique axé sur les employeurs aide à maintenir des emplois à faible salaire, et donc représente un coût pour tous les travailleurs (pour ne rien dire du traitement inéquitable des travailleurs étrangers temporaires eux-mêmes).
7. L'admissibilité à la Sécurité de la vieillesse (SV) et au Supplément de revenu garanti (SRG) est reportée
Pris ensemble, la SV et le SRG procurent un revenu annuel proche du seuil de la pauvreté. Ces programmes augmentent de façon marquée le revenu de plusieurs Canadiens âgés, en particulier ceux vivant avec un handicap, lorsqu'ils ont 65 ans et plus.
Le gouvernement Harper a reporté l'admissibilité à la SV et au SRG de 65 à 67 ans à compter de 2023. L'absence d'accès au SRG à 65 ans aura un impact sur environ le tiers le plus pauvre des aînés admissibles à ce bénéfice supplémentaire.
8. Aucun appui aux Canadiens autochtones
Le gouvernement Harper a négligé d'aborder les inégalités abjectes entre les Canadiens autochtones et non autochtones. Les Autochtones demeurent les gens les plus marginalisés au Canada. Ils vivent avec des taux élevés de pauvreté, y compris des conditions d'habitation effroyables, la pollution de l'eau, de sérieux et chroniques problèmes de santé, et un taux de chômage élevé. Le gouvernement Harper a rejeté l'accord de Kelowna qu'avaient conclu les Premières Nations et le gouvernement précédent; cet accord avait défini, entre autres enjeux, un plan d'action en éducation.
Un début d'accord sur une augmentation de 1,9 G$ du financement de l'éducation dans les Premières Nations a été conclu en 2014. Il a cependant été rejeté par plusieurs Premières Nations, de crainte de ne pas en avoir un contrôle suffisant. L'accès à l'éducation peut être un grand égalisateur; pourtant, sur les réserves, le financement par élève est bien en dessous du niveau procuré par les systèmes scolaires provinciaux.
9. Soins de santé : la privatisation s'en vient
Les Canadiens sont égaux en un sens très fondamental : la Loi canadienne sur la santé garantit à toutes et à tous un accès gratuit aux soins médicalement nécessaires dispensés par les provinces. Mais cette garantie n'en est plus une si le fédéral n'assume pas une part raisonnable des coûts croissants des soins de santé.
Le gouvernement Harper a dit que, après 2017, la croissance des transferts aux provinces pour les soins de santé suivra le taux de croissance de l'économie, même si on s'attend à ce que le coût des soins de santé augmentera plus rapidement que le PIB à cause du vieillissement de la population.
Les provinces devront débourser la différence, ce qui représente un défi particulièrement sérieux pour les provinces moins bien nanties. Une réduction du financement fédéral incitera aussi les provinces à introduire des droits d'utilisation qui mineront l'universalité du programme et feront une ponction douloureuse et disproportionnée dans le porte-feuille des Canadiens à faible revenu.
10. L'offensive contre les droits des travailleurs
Les syndicats aident à créer une société plus égalitaire et à redistribuer la prospérité en augmentant les salaires et en améliorant les avantages sociaux, en particulier pour les gagne-petit. Mais le gouvernement Harper s'est fait l'ennemi constant des droits basiques à la syndicalisation, en dépit d'une série de jugements de la Cour suprême réitérant que ces droits sont protégés par la Charte canadienne des droits et libertés. Le gouvernement Harper a dénié le droit de grève des travailleurs en imposant des conventions collectives et en rendant plus difficile la syndicalisation des travailleurs dans les industries régies par le fédéral. De plus, le gouvernement Harper mijote une législation pour restreindre de façon importante la représentation politique par le mouvement syndical : de telles restrictions ne seraient jamais imposées à des entreprises ou à des associations professionnelles.
Ce qu'il faut retenir, c'est que les syndicats ont aidé à construire la classe moyenne, et que les affaiblir déstabilise la classe moyenne et augmente l'inégalité des revenus.
11. L'offensive contre les sources d'information permettant un débat démocratique
Pour combattre l'inégalité, il nous faut des faits. Pourtant, la base d'information nécessaire à l'analyse sociale et à la représentation a été sérieusement minée par le gouvernement Harper. La fin du formulaire long du recensement signifie que nous avons désormais peu ou pas de données fiables provenant de Statistique Canada sur les tendances récentes en matière d'inégalité des revenus et de pauvreté. De plus, le gouvernement a éliminé des sources importantes d'expertise, dont le Conseil national du bien-être social qui produisait des rapports et études valables sur la pauvreté au Canada.