Le gouvernement Harper poursuit ses attaques contre les droits des travailleurs

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Dans une série de récents arrêts faisant jurisprudence, la Cour suprême du Canada a estimé que les droits syndicaux de base, y compris le droit à la négociation collective et le droit de grève, sont protégés par les dispositions touchant la liberté d’association de la Charte canadienne des droits et libertés.

La Cour a cassé les lois fédérales et provinciales qui nient à certains travailleurs le droit d’adhérer à un syndicat, qui modifient unilatéralement les conventions collectives sans consultation ni application régulière de la loi et qui limitent le droit de grève dans l’éventualité d’une impasse dans les négociations.

En prenant cette décision, la Cour a souligné que les droits syndicaux sont protégés par les conventions internationales relatives aux droits de la personne, et elle a fait valoir que les syndicats font la promotion des valeurs énoncées dans la Charte comme la dignité humaine, l’égalité, la liberté, le respect de l’autonomie de la personne et le renforcement de la démocratie.

Rien de tout cela n’a pourtant empêché le gouvernement Harper de renouveler son attaque à l’endroit des droits syndicaux à l’approche des élections fédérales.

Le projet de loi C‑377 fait encore l’objet d’un examen approfondi par le Sénat, composé majoritairement de conservateurs. Le projet de loi a déjà été accepté par la Chambre des communes, et bien qu’il ne s’agisse pas techniquement d’un projet de loi émanant du gouvernement, il bénéficie du fort soutien du premier ministre et du Cabinet.

Le projet de loi C‑377 s’apparente aux lois antisyndicales en vigueur aux États‑Unis qui obligent les syndicats à produire des états financiers extrêmement détaillés auprès des autorités en matière d’impôt sur le revenu et de rendre compte de manière exhaustive des dépenses consacrées à des activités précises, y compris des activités qui ne sont pas directement liées aux négociations collectives, comme la défense d’intérêts politiques.

L’Association du Barreau canadien et l’ancien sénateur conservateur Hugh Segal, notamment, ont soulevé de solides arguments contre ce projet de loi, faisant valoir qu’il équivaut à une attaque contre des droits syndicaux légitimes et la liberté d’association et d’expression par le biais de la législation en matière d’impôt sur le revenu. Les instigateurs et les défenseurs de ce projet de loi ont néanmoins refusé d’y apporter des modifications importantes.

Ce projet de loi est outrageusement discriminatoire. Les syndicats, y compris quelque 25 000 syndicats locaux, seront tenus de déclarer tous les détails de leurs dépenses. En revanche, de telles obligations de divulgation ne seraient pas imposées aux employeurs ni aux entreprises pas plus qu’aux associations professionnelles qui sont libres de représenter les intérêts de leurs membres auprès du public et des gouvernements comme bon leur semble.

Ce projet de loi ne répond à aucune nécessité. Les syndiqués devraient être en mesure de voir les états financiers de leur syndicat, ce qu’ils font déjà en vertu des lois provinciales en vigueur d’un bout à l’autre du Canada.

Ce projet de loi est antidémocratique. Il appartient aux syndiqués de décider, dans le cadre de processus internes - comme les réunions des sections locales et les réunions des dirigeants  syndicaux- s’ils souhaitent exercer des pressions sur les gouvernements ou influencer l’opinion publique. De telles activités sont tout à fait légitimes, transparentes et légales, bien que la loi limite à juste titre la capacité des syndicats, de même que celle des employeurs, de contribuer au financement des partis politiques.

Ce projet de loi est inconstitutionnel. Comme l’Association du Barreau canadien le faisait remarquer, « la protection de la vie privée est reconnue comme un droit constitutionnel fondamental dans les lois canadiennes, et la constitutionnalité de ce projet de loi pourrait très bien être contestée et faire l’objet de litiges ». L’Association du Barreau canadien et d’autres juristes ont également témoigné lors des audiences de la Chambre des communes en faisant valoir que le projet de loi mine les droits fondamentaux dans une société libre et démocratique, y compris la liberté d’association, la liberté d’expression, de même que les droits politiques, les droits à la protection des renseignements personnels et commerciaux et à la confidentialité, ainsi que le secret professionnel de l’avocat. De plus, ce projet de loi empiète sur les compétences provinciales en matière de relations de travail, et cinq provinces ont déjà soulevé des objections contre ce projet de loi.

Le but réel poursuivi par les organisations antisyndicales de droite qui mettent de l’avant le projet de loi C‑377 est de submerger les syndicats de formalités administratives coûteuses, et de créer les conditions pour la mise en place d’une législation de style américain qui permettrait aux syndiqués de verser les cotisations de manière sélective, en ayant la possibilité de se soustraire à la soi-disante utilisation « politique » des cotisations.

Il s’agit là d’une mauvaise idée et de surcroît d’une idée très antidémocratique. La Cour suprême du Canada a reconnu depuis longtemps – à savoir depuis l’arrêt Lavigne de 1991 - que les intérêts des syndiqués ne commencent ni ne s’arrêtent sur les lieux de travail, et que s’efforcer d’exercer une influence sur la législation gouvernementale dans des domaines comme la santé, la sécurité et les pensions. est un prolongement légitime des fins poursuivies par les syndicats.

Les syndicats sont des organisations démocratiques qui appartiennent à leurs membres. À ce titre, elles sont une composante importante du processus politique démocratique. Tenter d’étouffer cette voix par une intrusion gouvernementale indue équivaut en fait à une attaque en règle contre la démocratie même.

Photo: Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec.