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Carney et Mulcair partagent-ils les mêmes idées?

Carney et Mulcair partagent-ils les mêmes idées? Réflexions sur le discours du gouverneur de la Banque du Canada et le « mal hollandais »

Le gouverneur de la Banque du Canada Mark Carney a récemment prononcé à Calgary un discours important, diffusé à grande échelle, sur le phénomène économique connu sous le nom de « mal hollandais ». Ce discours était plus nuancé que la majorité des reportages.

Le gouverneur Carney a fait valoir que le boom dans le secteur de l’énergie et des ressources, surtout concentré dans l’Ouest canadien, a été très bénéfique pour notre économie nationale, créant des emplois dans le reste du pays tant dans le secteur manufacturier qu’au niveau des services. Dans l’ensemble, affirme-t-il, l’augmentation du prix des ressources a été bénéfique pour le Canada.

M. Carney reconnaît toutefois que cette augmentation du prix des ressources a été un facteur important dans l’appréciation du dollar canadien par rapport au dollar américain. De plus, il reconnaît que notre secteur manufacturier s’est énormément comprimé en raison de l’appréciation du dollar canadien qui rend nos exportations beaucoup plus dispendieuses aux États-Unis et dans d’autres pays, tandis que les importations des États-Unis et de la Chine sont beaucoup moins chères sur le marché intérieur.

Le gouverneur a remarqué que le déclin du secteur manufacturier se produit dans l’ensemble des pays industriels avancés. Les activités manufacturières au Canada ont toutefois chuté magistralement. Depuis 2002, la part du secteur manufacturier dans le PIB est passée de 17 % à seulement 11 %, baisse beaucoup plus sérieuse que celle de la plupart des autres pays industriels avancés.

Le graphique 5 du discours indique qu’en 2002, nous nous trouvions un peu au-dessus de la moyenne des pays avancés membres de l’OCDE. Aujourd’hui, alors que la part du secteur manufacturier se situe à 11 % du PIB, nous nous trouvons bien en deçà de la moyenne de 14 %. Cette moyenne n’a que légèrement diminué au cours des dix dernières années.

La part du secteur manufacturier dans l’ensemble des emplois au Canada a également chuté au cours de cette décennie, passant de 15 % à 10 %, ce qui représente une perte d’environ 500 000 emplois. En moyenne, ces emplois étaient plus productifs et beaucoup mieux rémunérés que, et plusieurs d’entre eux étaient syndiqués.

Les activités manufacturières sont également un important moteur d’emplois dans le secteur des services haut de gamme. Même si elles sont jugées par certains comme démodées, elles comptent toujours pour la plupart des investissements commerciaux en recherche et développement, et elles sont d’une importance cruciale pour maintenir une économie moderne, novatrice et hautement productive.

Bien que le secteur des ressources ait certainement créé de nouveaux emplois directement et dans le secteur de la construction, le déclin du secteur manufacturier est un des éléments clés qui explique pourquoi notre taux d’emploi est demeuré environ 2 % en deçà de ce qu’il était avant la récession de 2008. Les taux de chômage restent élevés dans des provinces industrielles durement frappées : l’Ontario (8,0 %) et le Québec (7,6 %) – qui à elles deux comprennent plus de 60 % de la main-d’œuvre au Canada.

Tout comme les pertes d’emplois qui n’ont pas été compensées par la création de nouveaux emplois, la baisse des exportations de biens manufacturiers n’a pas été contrebalancée par la croissance de l’exportation des ressources. En fait, depuis le début des années 2000, l’excédent de 2 % du compte courant du Canada à l’égard des autres pays s’est transformé en un déficit important d’environ 3 %.

Cela signifie que, même si nous procédons à des exportations prospères en pétrole et en minéraux, nous devons emprunter d'autres pays pour payer nos importations. Un déficit commercial important ralentit la croissance et se traduit par l’exportation réelle de nos emplois.

On peut se demander pourquoi le dollar canadien a connu une telle appréciation, comparativement au dollar américain, alors que notre position commerciale décroît rapidement et que notre dollar est clairement surévalué en termes de pouvoir d’achat.

Une grande partie de la réponse provient du fait que des « capitaux flottants » ont été investis au Canada en provenance de pays qui cherchent des taux d’intérêt plus élevés que ceux des États-Unis et qui espèrent que l’appréciation du dollar canadien se poursuivra.

Selon le gouverneur Carney, même si le dollar élevé était une source de préoccupation, nous n’y pouvons à peu près rien. Cette opinion est discutable.

Les taux d’intérêts canadiens sont en effet peu élevés, mais pas autant qu’aux États-Unis. La Banque du Canada pourrait réduire les taux alors qu’elle reconnaît elle-même que notre économie fonctionne en deçà de sa capacité. D’autres banques centrales, comme celle de la Suisse, sont intervenues récemment sur le marché des changes pour réduire la valeur de leur propre monnaie surévaluée. Les gouvernements canadiens pourraient adopter des politiques susceptibles de limiter les dommages liés à la force du dollar. Des mesures fiscales, telles qu’une taxe Tobin sur les transactions monétaires canadiennes à court terme, pourraient limiter la volatilité du taux de change à court terme.

Comme autre moyen de limiter le « mal hollandais », les provinces riches en ressources pourraient investir une partie de leur richesse en avoirs étrangers. C’est ce qu’a fait la Norvège pour atténuer les effets d’une industrie pétrolière extracôtière lucrative sur son économie; c’est un peu ce qu’a fait l’Alberta, sous la gouverne de Peter Lougheed, avec son Fonds du patrimoine.

L’OCDE a recommandé que le Canada crée un fonds souverain pour les recettes provenant de ses ressources naturelles et qu’il investisse dans des avoirs étrangers pour limiter les effets du mal hollandais, tout en économisant pour les générations futures.

Dans son discours, le gouverneur Carney a mentionné des dispositions plus modestes, mais importantes pour gérer la crise du secteur manufacturier, comme établir des liens plus étroits entre ce secteur, celui des services et celui des ressources, et tirer un meilleur parti de la valeur ajoutée aux ressources au Canada avant leur exportation. Il a mentionné par exemple la possibilité d’augmenter la capacité de raffinage du Canada.

Le « mal hollandais » est bien réel et nous devrions réfléchir sérieusement aux solutions qui s’offrent à nous.

Andrew Jackson est le Conseiller politique principal à l'Institut Broadbent. 

Photo : Todd Korol, Reuters