Samara a publié récemment une autre étude montrant que les Canadiens, en particulier les jeunes, sont profondément désintéressés de la politique traditionnelle. Les citoyens sont moins nombreux à voter et à participer aux activités des partis politiques, mais aussi à écrire ou à lire sur la politique partisane, voire à en discuter entre amis. Bon nombre d’entre eux continuent de donner temps et argent pour soutenir des causes, mais la chose politique leur semble sans valeur.
Bien sûr, ce n’est pas la première étude du genre. Chaque année, on nous montre une fois de plus la chute marquée de confiance à l’égard des politiciens, du gouvernement et de nos institutions démocratiques. Chaque élection semble voir le taux de participation des électeurs s’abaisser et amène, inévitablement, son lot d’opinions sur ce qu’il faut faire – élever la politique, renouveler les institutions démocratiques, accroître la responsabilité et la transparence, motiver les citoyens inactifs. Ce sont là des objectifs certes louables, mais malgré les études et les discours, rien ne change vraiment; la situation semble même empirer. On dirait que quelque chose nous fait défaut.
La confiance sociale
Un nombre grandissant d’études internationales, les plus éminentes dirigées en Suède par Bo Rothstein et aux États-Unis, par Jong-Sung You, nous révèlent le facteur sur lequel il faut se pencher pour renverser la vapeur : le déclin de la confiance sociale.
La « confiance sociale » ne se limite pas simplement à faire confiance ou non à notre voisin ou aux autres dans notre communauté ou dans un contexte comparable, mais plutôt à croire que la plupart des gens dans une société sont généralement dignes de confiance, y compris ceux qui sont très différents de nous.
Confiance politique et confiance sociale sont deux notions différentes, mais lorsque cette dernière est grande, les personnes sont plus enclines à faire confiance à leur démocratie, à donner le bénéfice du doute au gouvernement en cas de crise, et à ne pas blâmer l’ensemble de la classe politique du dernier scandale. Même lorsque le rendement des gouvernements est si mauvais qu’il rend la confiance politique inexistante, tant que la confiance sociale est élevée, les citoyens tenteront de changer le cours des choses. Ils auront encore la capacité de s’indigner, animés par leur confiance en l’avenir et en leur capacité de le façonner, contrairement aux cyniques indifférents ou fatalistes.
Un niveau de confiance élevé suppose que les membres de la société soient solidaires, qu’ils partagent un destin commun et une responsabilité mutuelle, et qu’ils manifestent par une volonté accrue d’aider les autres. Ces citoyens se prennent en mains tout en se souciant des autres dans leur milieu social, et se préoccupent des étrangers et de l’orientation prise par leur société.
Contrairement à la vision du monde de Margaret Thatcher, nous sommes davantage qu’une somme d’individus isolés à la poursuite de leurs propres intérêts; du moins, nous pouvons l’être. Nous vivons en relation avec les autres, en société; la force de ces relations et la solidarité envers notre prochain revêtent une importance cruciale. Il existe des sociétés où la confiance est élevée : la criminalité et la corruption y sont faibles, les gouvernements, efficaces et les économies, plus fortes.
La confiance et l’inégalité
Selon les études, l’égalité, tant économique que des chances, semble être le facteur le plus déterminant pour mesurer le niveau de confiance sociale. Dans les sociétés très inégales, la vie des riches et des pauvres est tellement différente qu’il est impossible de développer l’empathie mutuelle nécessaire pour établir la confiance et le sentiment de partager le même destin. Lorsqu’il y a en plus de faibles possibilités de développement économique, les conflits prennent naissance, la politique devient un jeu à somme nulle et un mur de la méfiance s’élève. La corruption généralisée est une caractéristique des sociétés très inégales, minant toute confiance.
Il semble donc que ni la participation citoyenne, ni l’efficacité du gouvernement, ni la diversité ne déterminent la confiance sociale. Les travaux de You démontrent que dans les sociétés où l’égalité est élevée, la solidarité cohabite plus harmonieusement avec les différences culturelles et ethniques, détruisant le mythe selon lequel l’égalité n’est possible que dans les sociétés homogènes.
Des questions de politique publique
Par ailleurs, les études révèlent que la prestation des gouvernements en matière de programmes sociaux et de travail est la clé d’une confiance et d’une égalité accrues. En cette période d’austérité et de réduction d’impôts, de nombreux gouvernements prennent les mauvaises décisions, qui exacerbent l’inégalité en baissant les salaires, en réduisant les programmes qui favorisent l’égalité et atténuent les conséquences de l’inégalité, en adoptant des stratégies plus étroitement ciblées plutôt qu’universelles, et en réduisant le financement des programmes qui font, études à l’appui, une différence réelle. Les travaux de Rothstein montrent, quant à eux, que les programmes universels – soins de santé, soins aux enfants, éducation, sécurité du revenu et accès à la justice, sont de loin les plus efficaces pour promouvoir l’égalité et la confiance sociale. Ils sont inclusifs et ne sont pas assujettis à la fixation arbitraire du seuil de faible revenu et au contrôle des ressources souvent dégradant, par lesquels les fonctionnaires décident ceux qui sont admissibles et ceux qui ne le sont pas. Enfin, ils rassemblent les gens indifféremment de leur revenu et de leur culture et parce que ces programmes appartiennent à tout le monde et que chacun a intérêt à ce qu’ils soient de qualité.
J’aperçois au loin le tollé. Inabordable, Insoutenable. Impossible. Nombre de ces programmes, dont l’efficacité est pourtant démontrée, sont très coûteux et se traduisent par des augmentations d’impôts et un système progressif d’imposition qui sont de plus en plus difficiles à vendre. Il n’est pas surprenant de constater que les pays ayant le niveau de confiance sociale le plus élevé sont aussi ceux ayant des taux d’imposition les plus élevés, comme les pays scandinaves. Leurs économies sont toutefois vigoureuses et leur productivité est impressionnante, ce qui nous rappelle que c’est à nous d’en décider, même dans le contexte économique mondial extrêmement concurrentiel.
Les pièges sociaux
Cela nous amène à la conclusion qu’on peut tirer de ces études. Dans les pays où la confiance sociale est faible et les inégalités, élevées, il est extrêmement difficile de changer de cap. Même si la population sait ce qu’il faut faire, la confiance est trop faible pour pouvoir l’accomplir. C’est le piège classique. Le peuple qui n’a pas confiance ne veut pas payer les impôts requis; chacun croit que l’autre le vole et à une extrémité du spectre, on se sépare de la société et à l’autre, on se retire en se disant que les dés sont pipés. Il est à peu près impossible, dans ces conditions, dcroit que l’autre le vole et à une extrémité du spectre, on se sépare de la société et à l’autre, on se retire en se disant que les dés sont pipés. Il est à peu près impossible, dans ces conditions, de penser pouvoir mettre en place de beaux grands programmes sociaux ou même, de renforcer ceux existants. L’inégalité et la méfiance qui en résulte semblent anéantir tout espoir de solution.
Où se place le Canada?
Pendant la majorité de l’après-guerre, à quelques exceptions près comme le traitement honteux accordé aux Autochtones, le Canada s’en est fort bien tiré en matière de confiance sociale et d’égalité, se plaçant juste derrière les pays scandinaves et les Pays-Bas. Toutefois, les dernières décennies ont vu la confiance sociale chuter considérablement et l’inégalité des revenus, s’accélérer. La mobilité, toujours assez élevée, ne le restera pas si le fossé de l’inégalité des revenus continue de se creuser. Nous sommes en meilleure position que bien d’autres pays, mais nous allons dans la mauvaise direction.
Les Canadiens ont raison d’être fiers de leur régime de soins de santé universel, mais ils le laissent s’éroder. L’appui public à l’éducation est à la baisse, de sorte que le fardeau des études et de la dette qui s’ensuit retombe sur les épaules des étudiants et leur famille. On s’attaque aux salaires – attaques à l’encontre des négociations collectives et abus du programme de travailleurs étrangers. Moins de 40 pour cent des Canadiens sans emploi ont droit à l’assurance-chômage. Notre système de soutien du revenu est fragmenté, inadéquat et trop souvent dégradant. D’immenses disparités – soins aux enfants, aide juridique en matière civile, assurance médicaments et soins à domicile – amplifient les inégalités. D’anciennes failles s’agrandissent pendant que de nouvelles se forment, surtout en matière de débouchés pour les jeunes Canadiens. Nous sommes en train de dilapider l’avantage canadien.
Le problème du désintérêt n’est pas simplement une question de gouvernance ou de style, tout importants qu’ils soient; il réside plutôt dans l’essence de nos politiques publiques, dans le sophisme que nous pouvons mettre l’accent sur l’économie en faisant extraction de la nature et des relations humaines. Rien ni aucune réforme ne fera bouger les citoyens désintéressés tant que nous ne nous attacherons pas à résoudre l’inégalité grandissante et la perte de confiance qu’elle engendre. Ce n’est qu’en ramenant un peu d’humanité dans les politiques publiques que les gens recommenceront à s’intéresser à la politique.
Cet article a originellement paru sur le blogue d'Alex Himelfarb.
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