Susan McDaniel : Les fruits sont à tous : partageons la prospérité

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L’« inégalité » semble être le mot d’ordre en automne 2012. Il figure dans les discours de plusieurs, et ce, exprimé à travers de lèvres parfois surprenantes. Lloyd Blankfein, le PDG de Goldman Sachs, s’est exprimé ainsi devant des financiers, des banquiers, des dirigeants et des avocats à Toronto en mi-septembre : « Lors de la dernière génération aux États-Unis, nous avons été mieux à la création de la richesse, mais beaucoup moins habiles à sa distribution » [Traduction]. Le Président Obama a mentionné l’inégalité dans son discours de nomination au Congrès national du Parti démocrate, ainsi que plusieurs autres qui y ont prononcé un discours, notamment Elizabeth Warren, à ce moment-là professeure de droit à Harvard, actuellement Sénatrice de Massachusetts, et coauteur du livre « The Fragile Middle Class », publié en 2000. Et le récent rapport du Forum économique mondiale, le Rapport sur la compétitivité globale 2012-2013 met l’accent sur l’importance intégrale de la durabilité sociale et environnementale (incluant des mesures de diminution des inégalités sociales) à la compétitivité globale d’un pays.

Dans des examens soutenus des diverses conséquences de l’inégalité des revenus, plusieurs nouveaux livres ont paru. L’oeuvre du lauréat Nobel Joseph Stiglitz, Le Prix de l’inégalité (2012) a reçu de l’attention considérable, incluant une critique de livre dans le New York Review of Books (le 27 septembre 2012). Stiglitz, pour résumer son argument, considère l’écart énorme et croissant entre le 1 % les plus riches et le reste de la société comme étant la caractéristique définitive d’une économie malade. D’autres livres récents sur l’inégalité incluent « The Impact of Inequality: How to Make Sick Societies Healthier » par Wilkinson (2006), « The Haves and Have-Nots » par Milanovic (2010), et « Inequality and Instability: A Study of the World Economy Just Before the Great Crisis » par Galbraith (2012). Bien qu’ils mettent l’accent sur de différents points focaux, tous sont de l’avis que des inégalités en revenu et en pouvoir politique sont souvent catastrophiques pour des citoyens ainsi que leurs sociétés.

Les raisons pour lesquelles nous devons prendre l’inégalité en sérieux sont bien expliquées dans le rapport du Projet d’égalité de l’Institut Broadbent, ainsi que dans Why Equality Matters, le rapport de 2007 du Centre canadien de politiques alternatives. Dans ce commentaire, nous souhaitons ajouter quelques autres dimensions à l’importance de l’inégalité au Canada en faisant référence à de la nouvelle recherche.

Une maxime fondamentale est que les parcours de vie d’un individu sont moulés par l’interaction de sa biographie avec des événements historiques. Pour bien comprendre ceci, dans des travaux antérieurs, des cohortes majeures du 20e siècle ont été analysées (McDaniel, 2001; 2004) afin de comprendre quels contextes socio-économiques historiques ont été appliqués durant les époques cruciales de transition de chaque cohorte, telles que leur transition à l’âge adulte, et probablement un emploi et/ou une famille. Nous avons constaté que la « génération précieuse » n’a pas été la cohorte des baby-boomers (nés entre 1946 et 1966) mais la cohorte qui les précédait. La cohorte des  préboomers a fait face à un marché du travail en plein essor, des bas prix de logement, des salaires assez suffisants pour soutenir une famille, des bas taux de divorce, ainsi que le développement d’un État-providence sécuritaire avec de l’assurance contre les risques fort et notamment, un taux faible d’inégalité des revenus.

Le début de la cohorte des boomers, en revanche, a dû concourir pour des emplois, les prix ont augmenté lorsque les salaires n’en ont pas au même niveau, l’État-providence a rétréci, et l’inégalité a croisé. La cohorte postboomer a vécu une stagnation des salaires, une hausse du chômage des jeunes, une croissance des coûts de l’éducation, le rétrécissement considérable de l’État-providence, et l’inégalité des revenus croissant en flèche. Nous nous sommes donc demandé quel était le rôle particulier de l’inégalité des revenus tel qu’elle affecte (ou non) le bien-être général du parcours de vie – aux niveaux financiers, physiques, et mentaux.

L’étude que nous avons conçue pour répondre à cette question curieuse a suivi des individus en mi-vie à travers des parties importantes dans leurs vies aux ÉÉ-UU (14 ans) et au Canada (16 ans) pour autant de cycles que les données nationales sont disponibles. Nous les avons ensuite connectés avec leurs relatifs plus jeunes et plus âgés dans le cadre d’analyses quantitatives ainsi que qualitatives. Ce que nous avons appris est à la fois incroyable et surprenant. L’effet de l’inégalité des revenus sur le bien-être à chaque étape du parcours de vie en particulier durant les étapes de transition (par exemple, la transition à l’âge adulte) était large et prolongé. Cet effet demeure même si nous éliminons l’impact d’autres variables tels que le genre et le statut socio-économique. L’impacte de l’inégalité des revenus sur le bien-être à travers les cycles de vie était plus approfondie aux États-Unis qu’au Canada, mais il était le plus grand facteur correspondant au bien-être dans les deux pays. Lorsqu’il y avait plus d’inégalité des revenus dans n’importe quelle partie ou période de transition durant le cycle de vie, le bien-être était compromis.

De plus, les conséquences de l’inégalité des revenus sur une génération auront un impact sur d’autres générations. Plus d’inégalité dans les plus jeunes générations, par exemple, ce que nous avons trouvé plus typiquement, crée des défis de bien-être pour ceux qui sont en mi-vie et ceux qui sont plus âgés. Des générations sont propices à « se serrer les uns contre les autres » lorsque les temps sont plus durs et l’inégalité croît. Ceci contrevient à la notion habituelle que les générations sont en compétition pour des ressources maigres.

Les effets négatifs de l’inégalité des revenus sur le bien-être au fil du temps d’individus et des familles au Canada et aux États-Unis sont profonds et clairs dans cette recherche. Durant la phase qualitative du projet, les maintes façons que les générations se connectent pour s’entraider se manifestent à plusieurs reprises. Des générations familiales œuvrent à s’isoler des effets négatifs de l’inégalité des revenus et ses accompagnements.

Lorsque Jean-Jacques Rousseau a prophétisé en 1754 est encore plus vrai en 2012. L’inégalité, ça importe profondément. 

Le premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargné au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la Terre n'est à personne.

Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité, 1754

 

Susan McDaniel, MSRC est Chaire de recherche du Canada (niveau 1) en population mondiale et le cycle de vie ainsi que Chaire de recherche Prentice et professeure de la sociologie à l'Université de Lethbridge.