Katherine Scott: Revenus, opportunités et pouvoir

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En 2008, l’écroulement des marchés financiers sur l’ensemble de la planète à entrainé un pays après l’autre en récession. Et le Canada n’a pas fait exception. En seulement huit mois, des centaines de milliers de Canadiens ont perdu leur emploi et la pression sur l’Assurance-emploi et l’aide sociale a considérablement augmenté. La proportion d’emplois à temps partiel et d’emplois temporaires a augmenté alors que les emplois à temps plein ont disparu. Les portefeuilles des Canadiens ont eu à faire face à une augmentation du coût des aliments et du logement, ce qui a mené plusieurs personnes à avoir recours à des banques alimentaires ou à leurs cartes de crédit.

Avant que la récession ne frappe, quelques économistes disaient que le temps des envolées et des effondrements des marchés était révolu et que nous avions appris à gérer les cycles économiques. Ils se référaient au fait que nous avions eu dix ans de croissance économique et que le revenu moyen augmentait. Mais il y avait des signes avant-coureurs. Le revenu moyen augmentait, mais seulement en raison de l’augmentation très élevée des revenus du 1 % qui gagne le plus d’argent. L’inégalité des revenus augmentait progressivement au Canada avec l’écart grandissant entre les gens en haut de l’échelle et ceux en bas de l’échelle.

Trois ans plus tard, la reprise économique demeure modeste. Les récents gains en Produit intérieur brut (PIB) réel par habitant et en emploi ont été contrebalancés par l’augmentation du travail autonome et d’autres formes d’emploi précaire. Le chômage a diminué, mais le taux d’emploi est toujours sous les niveaux qui prévalaient avant la récession et le chômage chronique continue d’augmenter.

Ce donnant donnant au sein des données économiques démontre que la reprise ne s’est toujours pas solidifiée dans plusieurs secteurs de notre économie, et beaucoup trop de Canadiens sont laissés pour compte.

La récession de 2008-2009 aurait dû réveiller les gens, mais qui aujourd’hui a les yeux ouverts? En 2012, le Canada se dirige toujours dans la mauvaise direction; l’inégalité des revenus continue d’augmenter.

« Vers un Canada plus juste »

L’Institut Broadbent s’est mis au défi de porter un regard sur l’inégalité. Sa nouvelle publication, « Vers un Canada plus juste », révèle un portrait statistique de l’inégalité au Canada. Il résume à travers une gamme de mesures l’ensemble grandissant de preuves qui lient les hauts niveaux d’inégalités et la faiblesse des retombées sur les individus et les communautés. Il décrit l’impact nuisible de l’inégalité sur nos objectifs partagés, nos institutions démocratiques, notre prospérité économique à venir et la viabilité de notre environnement.

« Vers un Canada plus juste » démontre que la polarisation des opportunités et des répercussions aujourd’hui établit les bases pour des générations à venir et invite les Canadiens à réfléchir sur les options qui existent pour avoir un Canada plus juste, plus équitable et plus démocratique.

Par le passé, face à l’impact dévastateur de la Grande Dépression des années 30, le Canada a relevé le défi et mis sur pied une multitude de nouvelles institutions sociales en éducation et en santé, et de nouvelles formes de protections sociales contre les risques associés au chômage, à la maladie et la vieillesse. Le défi aujourd’hui est d’identifier une nouvelle gamme de politiques et d’établir des stratégies qui permettent de freiner l’augmentation pernicieuse de l’inégalité.

Le succès réside dans une refonte intelligente des programmes et des institutions publiques pour réduire l’inégalité des revenus et entrainer la redistribution. Mais, évidemment, il y a des divergences en ce qui concerne les endroits où l’accent devrait être mis.

Redistribution des revenus

Les réformes fiscales figurent au premier plan des stratégies proposées par un éventail de groupes et de gouvernements qui cherchent à augmenter la capacité des gouvernements à redistribuer les revenus efficacement et financer des services publics de haute qualité offerts à l’ensemble des citoyens. Les propositions incluent : augmenter le taux marginal d’imposition sur les personnes qui gagnent le plus d’argent, éliminer les crédits d’impôt ultraciblés, introduire de nouveaux droits sur les successions les plus vastes et imposer les revenus d’investissement de façon plus équitable.

Au même moment, il y a eu plusieurs demandes d’améliorer et d’augmenter le système de programmes de sécurité du revenu au Canada afin de mieux s’attaquer à la pauvreté et de promouvoir la mobilité sociale. Bien qu’elles étaient maigres au départ, plusieurs rondes de coupures ont amputé des programmes clés comme l’aide sociale et l’Assurance-emploi, alors que d’autres programmes sont incapables de maintenir le rythme de l’évolution de notre économie et de l’augmentation du nombre de gens à faibles revenus. Plusieurs failles sont visibles au sein des meilleurs programmes pour les ainés. Les récentes propositions d’élever l’âge de la retraite augmenteront les niveaux de pauvreté lorsque plusieurs ainés auront à attendre deux ans avant d’avoir accès aux programmes de retraite.

Redistribution des opportunités

Un autre groupe de chercheurs et de stratèges disent que la clé pour s’attaquer à l’inégalité et d’offrir à tous les enfants les moyens de réussir. Les politiques de redistribution réduisent l’inégalité sociale à un moment donné, mais n’entrainent pas à elles seules un changement à long terme. Améliorer la vie d’enfants très jeunes est la seule route vers une plus grande égalité et inclusion sociales.

Aux États-Unis, James Heckman, lauréat du prix Nobel, est le chef de file de cette idée. Heckman est d’avis que la naissance est maintenant « la principale source de l’inégalité aujourd’hui en Amérique ». Les enfants nés dans des milieux défavorisés ont un plus grand risque de ne pas avoir les compétences pour des emplois, d’avoir des gains à vie peu élevés et d’avoir plusieurs obstacles au cours de leur vie. L’écart grandissant entre les gens qualifiés et ceux qui ne le sont pas peut par contre être renversé avec des programmes d’intervention précoce. Les recherches de Heckman démontrent que ces programmes sont non seulement efficaces pour réduire l’écart de compétences et d’opportunités entre les enfants, mais génèrent des retombées économiques positives pour chaque dollar investi.

L’intervention précoce auprès des enfants fait partie d’un ensemble de stratégies de capital humain mis de l’avant pour augmenter les compétences des travailleurs et générer une productivité économique. L’État providence n’est plus perçu comme un instrument pour protéger les citoyens des risques dans les économies de marché, mais comme un instrument pour aider les citoyens, et les enfants en particulier, à relever les défis d’une économie mondialisée turbulente.

Redistribution du pouvoir

Par contre, plusieurs disent que les stratégies qui concentrent leurs efforts sur l’offre sont insuffisantes. Les politiques axés sur la demande qui engendrent l’innovation et augmentent la productivité en plus de stimuler la création d’emplois bien rémunérés font également partie des outils importants des égalitaristes. Les pays avec les plus hauts niveaux d’égalité comme la Suède réussissent non pas seulement en raison de leurs programmes sociaux généreux, mais également parce que la distribution première des revenus par l’entremise du marché de l’emploi est juste et équitable. Faciliter la croissance des emplois « de qualité » qui sont socialement inclusifs et hautement productifs est essentiel à l’idée d’un Canada plus juste.

Michael Grusky indique que l’augmentation spectaculaire de l’inégalité a été générée au sein du marché, et nous devons ainsi nous affairer à réformer les institutions du marché si nous voulons parvenir à créer une société plus juste. « Des intérêts corporatifs puissants ont réussi à mettre sur pied des institutions à leur avantage qui génèrent l’inégalité… qui ont été amené à être perçues, par l’entremise d’un habile tour de passepasse, comme étant un libéralisme économique ». Selon Grusky, nous aurions moins d’inégalités si le marché de l’emploi et les autres institutions étaient en fait plus ouverts et compétitifs.

Les efforts nationaux et internationaux ont été concentrés sur l’équilibration des règles du jeu : refonte des institutions du marché de l’emploi, facilitation de la formation de syndicats, renforcement des structures de gouvernance des entreprises et un appui à la démocratie au sein des milieux de travail. Il y a des campagnes de revenus suffisants au sein de plusieurs pays, dont le Canada. Améliorer les normes de travail, incluant les lois sur le salaire minimum, est une autre voie intéressante.

Encourager le dialogue

L’Institut Broadbent fournit un espace qui est bienvenu pour explorer et débattre des meilleures stratégies pour créer un Canada plus juste. Les différentes propositions résumées ci-dessus donnent un aperçu de la complexité et de passion qui sont associées à ce débat. Espérons qu’un grand éventail de personnes et d’organisations se joindront à ce dialogue et agiront pour engendrer un changement.

La croissance de l’inégalité représente un gaspillage extraordinaire du potentiel humain, reléguant plusieurs membres de notre communauté dans les marges économiques et sociales de notre société. Offrir un soutien afin de combler les besoins de base, respecter les droits de la personne, promouvoir la participation active des membres de la communauté à la vie politique, économique et culturelle, et offrir des occasions de formation continue sont des éléments clés d’un nouveau contrat social pour le 21e siècle.

Le Canada devrait viser à augmenter le niveau de vie avec de bons emplois et, au même moment, créer une société plus juste, plus équitable et plus inclusive. Bien que nous ne soyons probablement pas capables de tout réaliser, nous pouvons certainement faire beaucoup mieux.

Katherine Scott est la vice-présidente du Conseil canadien du développement social.