Confronter les programmes d’austérité et antisyndicaux avec l’Avantage syndical

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Nous sommes à la croisée des chemins socioéconomique et écologique avec des gouvernements de tous les paliers qui mettent de l’avant des objectifs d’austérité. Pourtant, c’est au milieu de cette crise économique, sociale et environnementale, à travers tous les chocs socioéconomiques et écologiques qui se font ressentir à travers les collectivités, que la dernière institution qui représente l’intérêt des travailleurs, les syndicats, est menacée par des intérêts personnels puissants.

La menace provient du processus structurel de néolibéralisation de l’économie et également du pouvoir politique brut. Un des objectifs du néo-libéralisme est de renverser l’ère progressive que nous définissons comme étant l’état providence, les services publics qui répondent aux besoins sociaux et une plus grande équité sociale pour ceux qui sont historiquement marginalisés par l’économie et la société. Cette idéologie cherche à maintenir la disparité grandissante entre les riches et les pauvres et assurer l’avantage que la richesse économique accorde aux élites en matière de puissance politique.

La nature et la taille de l’économie canadienne ont été dramatiquement modifiées par la mondialisation néo-libérale au cours des quatre dernières décennies, augmentant le nombre de travailleurs qui sont directement en concurrence, internationalement et localement. Une partie de cette concurrence a été générée par l’immigration massive provenant des pays du Sud planétaire lorsque les sociétés de partout au monde ont vu leurs économies perturbées par l’instabilité politique et les forces prédatrices de la mondialisation économique, forçant plusieurs travailleurs à déménager dans de nouveaux endroits comme l’Ontario. D’un autre côté, les employeurs ont utilisé la menace de déménager leurs usines et les emplois associés pour offrir des salaires et des conditions de travail moins élevés dans ces collectivités.

Alors qu’il y avait un temps où les travailleurs étaient considérés comme des atouts dans lesquels il fallait investir, aujourd’hui, les travailleurs sont simplement considérés comme étant un cout qu’il faut réduire. Au moment même où les collectivités en ont le plus besoin, les demandes pour une main-d’œuvre plus flexible ont miné la capacité des syndicats de négocier efficacement. À travers le Canada entier, les travailleurs ont été obligés de se contenter d’emplois ayant de mauvaises conditions de travail ainsi que peu ou pas d’avantages sociaux, de peur de ne pas avoir d’emploi. Les conditions précaires du sous-emploi, le travail à forfait, les arrangements de travail à temps partiel ou temporaire, les salaires peu élevés et les conditions de travail précaires sont devenus de plus en plus normalisés parmi plusieurs immigrants, femmes, jeunes et autres travailleurs historiquement vulnérables, aux dépens d’une qualité de vie au sein de nos collectivités.

Ce qui pousse ces conditions de travail est un modèle d’affaire qui crée une course vers le bas entre les différentes collectivités en concurrence et une logique du plus faible coût de production et des plus bas salaires qui sont également responsables de l’augmentation de la concentration des revenus et de la richesse du 1 % bien connue.

Le mécanisme essentiel de concentration de la richesse est la distribution disproportionnée des gains de productivité et de la richesse. Ainsi, nous nous tournons vers le marché du travail pour une solution institutionnelle. Traditionnellement, le mécanisme clé du marché du travail pour redistribuer les revenus et le pouvoir est la syndicalisation. Elle est toujours le mécanisme qui a le plus grand potentiel de renverser cette tendance. La syndicalisation, combinée à une action gouvernementale visant à appliquer des normes de travail et une équité salariale, auxquels s’ajouteraient des transferts gouvernementaux, un accès à l’éducation, de la formation professionnelle, des garderies (des centres de la petite enfance) et des initiatives d’inclusion sociale sont essentielles pour résoudre ses défis.

La surreprésentation documentée de groupes de communautés culturelles dans certains secteurs et professions suggèrerait que la syndicalisation de ces secteurs améliorerait le niveau des salaires. De plus, un accès accru à des secteurs déjà syndiqués pour les communautés culturelles améliorerait grandement leur salaire et condition de travail. La syndicalisation profiterait également aux travailleurs issus de communautés culturelles dans des milieux de travail non traditionnels comme la confection de vêtements, la récolte, les services alimentaires et la vente au détail.

Plusieurs études révèlent aujourd’hui l’impact de l’avantage syndical pour les travailleurs des communautés culturelles dans des milieux de travail précaires. Les travaux d’Andrew Jackson sont parmi les plus complets à cet égard. Ceux de Jeff Reitz et Anil Verma le sont également, ainsi que ma propre analyse des disparités des revenus chez les travailleurs syndiqués et les travailleurs des communautés culturelles non-syndiqués au Canada au cours des années 90. L’écart des salaires entre les travailleurs syndiqués et les travailleurs des communautés culturelles non-syndiqués est substantiel, tout comme les conditions de travail et l’expérience de travail précaire, suggérant que la négociation collective parmi les travailleurs des communautés culturelles pourrait améliorer leur expérience au sein du marché du travail et atténuer certains impacts de leur présence tout en augmentant les perspectives d’une nouvelle forme de conscience de classe. En 2001, la proportion des travailleurs des communautés culturelles parmi les travailleurs salariés était de 9,3 % alors que le taux de syndicalisation chez les travailleurs des communautés culturelles était à 21,3 %, représentant à peu près 6,9 % de tous les travailleurs syndiqués. Ce niveau était significativement plus bas que le taux de syndicalisation de 32,2 % au sein

Étendre l’avantage syndical aux travailleurs des communautés culturelles et les autres travailleurs vulnérables signifie que les syndicats pourront négocier les dispositions d’équité salariale et d’emploi, demander des améliorations aux lois des normes du travail, militer pour un salaire minimum et aider à améliorer les conditions des milieux de travail. Ils sont en mesure de s’engager à organiser les secteurs de l’économie où les travailleurs des communautés culturelles et les autres travailleurs vulnérables qui sont disproportionnellement représentés et dans des emplois précaires. Pour que les groupes autochtones et des communautés culturelles au Canada puissent progresser significativement au sein du marché du travail, ils ont besoin de l’avantage syndical, du pouvoir de la négociation collective.

Par contre, non seulement plusieurs employeurs et leurs alliés de la droite idéologique ont-ils lancé une attaque politique contre les syndicats en cherchant à introduire des lois qui mineraient le fondement des cotisations syndicales, ils ont également ciblé des secteurs de l’économie ayant des emplois syndiqués et relativement protégés, les rendant vulnérables à la sous-traitance et à la privatisation. Structurellement, ceci représente autant une attaque contre les syndicats qu’une nouvelle impulsion pour importer la législation qu’ils intitulent « droit de travailler » des États-Unis ici, au Canada.

Ces travailleurs vulnérables peuvent tout autant venir du secteur public où les emplois sont privatisés et sous-contractés, que du secteur privé où plusieurs travaillent à au bas de la pyramide des salaires. Ce sont les travailleurs qui font du nettoyage ou fournissent des services. Ce sont les concierges et les instructeurs. Ce sont les travailleurs de soutien. Ce sont habituellement des femmes, des immigrants, des membres des communautés culturelles qui subviennent aux besoins de leur famille et leur communauté en plus de subventionner les budgets provinciaux, car ils travaillent plus en échange de moins, ont des charges de travail élevées, de faibles salaires et peu d’avantages sociaux. Ils proviennent de plusieurs communautés et familles, homosexuels et hétérosexuels, de communautés culturelles, autochtones ou colonisateurs, jeunes et moins jeunes.

Ce sont des travailleurs comme Felicia Calvaho, 33 ans, qui doit maintenant travailler pour un entrepreneur pour la moitié de ce qu’elle gagnait en tant que femme de ménage. Elle ne peut plus se permettre de prendre une journée de maladie et doit combattre un problème de santé débilitant qu’elle ne peut prendre soin. Des travailleurs comme Alicia Brown, qui en tant que préposée aux services de soutien personnel qui doit souvent servir trois clients par jour, et doit utiliser le transport en commun pour se rendre à son domicile de l’autre côté de la ville, qui est diabétique et arrive difficilement à payer ses médicaments; ou comme Manuel Rodriges pour qui son travail comme assistant éducatif a été effacé du budget par la commission scolaire, mais doit trouver un moyen pour subvenir aux besoins de sa famille. Ce sont Jaspreet Minhas, Sana Hussein, Janet Litvak, Jenni O’Neil et Mindy Lee, dont les emplois ont été déclarés comme étant des surplus et doivent maintenant se débrouiller au sein d’un marché du travail qui ne pardonne pas et qui ne leur fournira pas un salaire suffisant pour subvenir aux besoins de leur famille. Qui prend soin d’eux?

Voici là vérité que vous n’entendrez pas des médias grand public : la sous-traitance, la privatisation, l’austérité et l’augmentation de la charge de travail imposent un coût élevé à nos familles et communautés. Alors que la pauvreté dans les communautés culturelles augmente, que le niveau des mesures d’assistance sociale est grossièrement inadéquat pour assurer la dignité des gens, que les pensions à prestations définies sont converties en REER privatisés, que les emplois de qualité bien rémunérés sont remplacés par des emplois à faible salaire sans sécurité d’emploi, il est clair que les syndicats sont la force essentielle pour contrer cette tendance. Comme l’indique le dernier rapport de l’Institut Broadbent, les syndicats sont la dernière et la meilleure chance que les travailleurs ont pour s’élever contre l’oppression et l’exploitation.

 

Grace-Edward Galabuzi est professeur associée au Département de la politique et de l'administration publique, ainsi qu'une membre de la Yeates School of Graduate Studies, à l'Université Ryerson. 

Cet article est une réponse au rapport de l'Institut Broadbent sur le mouvement syndical et la prospérité sociale, « Des communautés syndiquées, des communautés en santé ».

Photo: Nicolai Grut. Utilisée sous une licence Creative Commons BY-ND 2.0.