David McNally: Contrer l’inégalité en donnant un nouveau souffle au mouvement syndical

responses-mcnally-fr_0.png

Bien que l’inégalité sociale soit le produit d’une offensive sur les plans à la fois économique, politique et culturel de la part des grands intérêts corporatistes de l’ère néolibérale, l’affaiblissement systématique des organisations syndicales pèse également lourd dans la balance historique. Après tous, les syndicats ont été les organisations de base dans la protection et l’amélioration des salaires et des avantages sociaux des travailleurs (y compris de ceux qui ne sont pas syndiqués). Il est donc difficile d’envisager pouvoir renverser le problème de l’inégalité croissante sans passer par une revitalisation majeure du mouvement ouvrier.

Un tel mouvement de revitalisation est tout à fait possible. Après tout, l’adhésion à un syndicat est un important facteur d’égalisation. Par exemple, pour les travailleuses et les minorités visibles, rien n’est plus efficace afin de réduire l’écart de revenu qui les sépare de leurs homologues masculins et blancs que l’adhésion à un syndicat. C’est cette réalité qui a été au cœur des manifestations très inspirantes organisées au cours des dernières semaines par des travailleurs de Wal-Mart aux États-Unis, des manifestations qui ne sont pas sans rappeler les premiers temps de la campagne « Justice for Janitors » des années 1990.

Il semble cependant évident que nos syndicats devront se réinventer s’ils veulent obtenir la reconnaissance du public en tant que tribune de défense de l’égalité sociale. Trop souvent, les syndicats sont perçus comme étant déterminés à protéger leur seuls intérêts étroits, plutôt que de se préoccuper d’enjeux comme la pauvreté et l’injustice sociale. Pourtant, lorsqu’ils « sortent de la boîte » du syndicalisme de la vieille école en travaillant en collaboration avec les communautés moins bien nanties, en organisant des campagnes pour l’égalité des genres ainsi que la justice raciale et générationnelle, les résultats sont très impressionnants. J’aimerais offrir deux exemples, l’un provenant des États-Unis, et l’autre du Canada.   

Lorsque les éducateurs de la ville de Chicago ont mené leur grève couronnée de succès en septembre dernier, plusieurs commentateurs ont, avec raison, noté l’énorme influence de l’appui qu’ils ont réussi à obtenir de la part des citoyens. Mais très peu ont mentionné que cet appui était le résultat de plusieurs années d’activités communautaires visant à  prévenir la fermeture d’écoles dans des quartiers pauvres et au sein de communautés ethniques menées par la Coalition of Rank and File Educators (CORE), un caucus progressiste du syndicat des éducateurs. En 2010, des militants de CORE ont remporté les élections du conseil de direction du Chicago Teachers Union (CTU). Ainsi, lorsque le syndicat a déclenché sa grève à l’automne 2012, il était en mesure d’affirmer en toute crédibilité que cette grève cherchait à défendre les besoins des étudiants tout autant que les emplois et les salaires des éducateurs.  Tout au long du débrayage, le CTU a continué à mettre de l’avant son engagement à combattre le racisme et la pauvreté.  Il en est résulté un grand appui communautaire pour le syndicat, y compris des manifestations de solidarité dans les écoles et dans les quartiers de la classe moyenne. Les autorités municipales ont été tellement impressionnées par l’ampleur de ce soutien qu’elles ont accordé au CTU une importante victoire, autant pour les étudiants et les communautés moins bien nanties que pour les éducateurs.

Plus près de nous, nous avons été témoins lors des dernières années de l’émergence d’une puissante alliance entre la section de l’Ontario du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et l’énergique Coalition ontarienne contre la pauvreté (OCAP) basée à Toronto. Ensemble, le SCFP et l’OCAP ont mené une importante campagne vouée à augmenter les prestations d’assurance-sociale en Ontario, une mesure tout à fait indispensable afin de réduire la pauvreté. En combinant l’éducation et le militantisme local, cette campagne est devenue un véritable exemple d’une alliance réussie entre un syndicat et la communauté qui transcende la simple négociation collective conventionnelle. En créant un mouvement de solidarité authentique entre les plus vulnérables et les militants syndicaux, ils ont offert une solution rafraîchissante au syndicalisme de la vieille école.

Il y a donc raison de croire qu’une revigoration du mouvement syndicale est tout à fait possible. Un mouvement déterminé à promouvoir l’égalité des genres, la justice raciale et la justice générationnelle. Et un tel mouvement ouvrier, en mobilisant les communautés d’une manière qui ne s’est pas vue depuis des générations, pourrait devenir une force majeure dans le renversement de l’inégalité sociale grandissante propulsée par le néolibéralisme.

David McNally est professeur de science politique à l’Université York et auteur du livre: "Global Slump: The Economics and Politics of Crisis and Resistance".