Dans ses propres mots : Hugh Segal sur le projet de loi C-377

7374305676_5f32dc4738_c.jpg

Le projet de loi C-377 est antidémocratique et risque de déstabiliser l'économie canadienne. Le Sénateur conservateur Hugh Segal s'est très bien exprimé cette semaine avec ces propos :

Honorables sénateurs, mes observations concernant le projet de loi C-377 et l'amendement de ma collègue seront brefs. Je les fais sans joie parce que je crois fermement que les projets de loi d'initiative parlementaire constituent une force favorable à la démocratie populaire et de circonscription dans notre régime parlementaire.

Je me félicite du fait que, sous le présent gouvernement, plus de projets de loi d'initiative parlementaire ont franchi toutes les étapes des deux Chambres qu'à n'importe quel autre moment de l'histoire parlementaire canadienne. C'est tout à l'honneur de notre premier ministre et des parlementaires du gouvernement et de l'opposition, aussi bien ici qu'à l'autre endroit.

Cela dit, je prends très au sérieux les observations formulées par le comité lorsqu'il a fait rapport du projet de loi C-377 sans amendements. Ces observations étaient appuyées par les représentants tant de l'opposition que du gouvernement au comité.

Comme ma collègue vient de le mentionner, les observations reflétaient assez fidèlement les très nombreux témoignages reçus par le comité au sujet du projet de loi C-377. Dans sa rédaction sinon dans son intention, le projet de loi présente de graves lacunes qui, de l'avis d'une grande majorité des témoins, sont fatales parce que le projet de loi viole les articles 92 et 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que la liberté d'expression et d'association garantie par la Charte.

À titre de conservateur, je suis d'abord un « décentraliste », avec une perspective confédéraliste qui respecte l'autonomie des provinces. Le projet de loi C-377 veut assujettir les syndicats à l'autorité fédérale, alors que leurs activités relèvent, sans aucun doute, de la compétence des provinces.

Le projet de loi qui devant nous recourt à Loi de l'impôt sur le revenu pour tenter d'éviter un défi constitutionnel devant les tribunaux, et cela ne va pas se passer comme ça. Un des rôles les plus importants de la Chambre haute dans un État confédéral est d'amender et même d'empêcher l'adoption de lois qui empiètent directement sur les dispositions constitutionnelles au Canada.

Je partage également l'avis de nos collègues du comité que le projet de loi et les questions qu'il soulève sont tellement graves que nous devrions avoir la possibilité de bien en débattre au Sénat à l'étape de la troisième lecture.

À l'étape de la deuxième lecture, j'ai dit que je ne m'opposerai pas au renvoi du projet de loi au comité. Je m'étais donc abstenu pour cette raison. J'avais ajouté que s'il n'était pas modifié ou amélioré, je m'y opposerai à l'étape de la troisième lecture.

Honorables sénateurs, nous avons la possibilité de modifier et d'améliorer le projet de loi dont nous sommes saisis et de le renvoyer aux Communes pour que les députés élus puissent décider, comme ils devraient pouvoir le faire.

Parmi les principaux défauts du projet de loi, il faut mentionner qu'il empiète sur la vie privée de quelque 12 millions de Canadiens propriétaires de fonds communs de placement qui seront pris au piège des dispositions de divulgation qui, quelle qu'en soit l'intention, sont mal rédigées. Il touche aussi les bénéficiaires de pensions et des arrangements conjoints syndicaux-patronaux de pensions et d'assurance-santé d'application générale. Pourquoi faire des victimes de personnes innocentes qui ont cotisé à des régimes qui ont pu leur verser plus de 5 000 $ dans une année donnée en divulguant leurs renseignements personnels? À quoi cela peut-il servir?

De plus, il y a une incohérence quant aux niveaux de divulgation des salaires entre ce que le projet de loi propose dans le cas des employés des syndicats et ce que les députés du gouvernement ont fixé comme seuil de divulgation dans le cas des cadres supérieurs de la fonction publique et des employés des sociétés d'État, comme ma collègue vient de le mentionner dans son discours. Il conviendrait de respecter le niveau de divulgation fixé par les représentants élus.

Le projet de loi dont nous sommes saisis viole également le secret professionnel de l'avocat et impose aux syndicats du Canada des seuils de divulgation très sensiblement inférieurs à ceux des sociétés et des employeurs publics et privés avec qui ils pourraient négocier. En fait, cela envenimerait les relations de travail au Canada, freinerait le développement économique et romprait l'équilibre entre la libre négociation collective, l'investissement et le rendement du capital, qui sont essentiels dans une économie de marché forte et libre. Comme conservateur, je m'oppose à la rupture de cet équilibre.

L'intention de l'amendement que je compte proposer est simple. La liberté d'investir, de croître, de construire, d'étendre sa part de marché et d'innover est essentielle dans une forte économie d'entreprise fondée sur le risque et la productivité, sur une bonne gestion des ressources humaines et sur une réglementation ouverte aussi légère et minimaliste que possible. Cette liberté ne saurait être exclusive ni exister dans le vide. Elle doit coexister avec les droits et libertés d'association, la liberté d'expression, la négociation collective libre, le droit de se syndiquer et le droit pour l'employeur et l'employé de maximiser leurs possibilités et leurs aspirations dans le cadre d'une négociation libre et ouverte.

Honorables sénateurs, le projet de loi viole cet équilibre. Le conservatisme que j'ai appris auprès des dirigeants tels que Daniel Johnson — le père, pas le fils —, Jean-Jacques Bertrand et Jean Charest au Québec, John Robarts et Bill Davis en Ontario, Bob Stanfield en Nouvelle-Écosse et à Ottawa, Peter Lougheed en Alberta, Richard Hatfield au Nouveau-Brunswick, Angus MacLean à l'Île-du-Prince-Édouard ainsi que Brian Mulroney et Stephen Harper à Ottawa consiste en une vision inclusive de la société, dans laquelle il est possible de débattre des choix économiques, des préférences et de l'avenir du pays.

Entraver une partie du débat ne fait pas partie de ce que les conservateurs traditionnels devraient demander aux législateurs. Il y aura des ententes et, à l'occasion, des désaccords, des grèves difficiles ainsi que des choix difficiles. Toutefois, la civilité du débat est soutenue par la mesure dans laquelle il est ouvert à tous les intervenants légitimes. Les syndicats des secteurs public et privé font partie de ces intervenants légitimes.

Dans le contexte tory canadien, le conservatisme ne se définit pas par la protection des classes ou par l'oppression des travailleurs par le capital ou du capital par les travailleurs. C'est plutôt une forme de liberté liée au respect mutuel, quels que soient les désaccords légitimes, entre tous les participants au système de libre marché mixte. Ce projet de loi, quels que soient ses louables objectifs de transparence, est en fait — par suite de défauts de rédaction — une expression de mépris législatif pour les travailleurs et les travailleuses de nos syndicats ainsi que pour les syndicats eux- mêmes et leur droit de s'organiser en vertu des lois fédérales et provinciales.

Il divise et est improductif.

Source: Débats du Sénat du Canada, le lundi 17 juin 2013

 

Image: Foreign and Commonwealth Office. Utilisée sous une licence Creative Commons BY-ND 2.0.